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Photo du rédacteurPierre Caudevelle

Mathias Zwick ou l'art d'anticiper le hasard

Dernière mise à jour : 29 mars 2020

Mathias Zwick photographie son environnement quotidien. Il témoigne de la vie de son quartier, et par extension, de son époque. Tout cela avec une touche d'humour. Rencontre.


Quel a été l'élément déclencheur dans ta pratique de la photo de rue ?  J’ai commencé la photo avec le skate dès l’âge de 10 ans. C’est une pratique très liée à l’image, à l’urbain. À 15 ans, j’ai reçu un premier appareil photo argentique pour Noël. J’ai commencé à découvrir le médium et à faire quelques clichés de ma bande de potes skateurs. Au fur et à mesure, ma pratique de la photo s’est élargie à d’autres sujets, lors de mes voyages par exemple. C’est à partir de cet élément que j’ai cultivé ma culture de l’image. 

Utilises-tu un appareil argentique ou numérique ? J’ai démarré à l’argentique et pendant des années je n’ai fait que ça. Je préfère la façon de photographier à l’argentique. Il faut réfléchir beaucoup plus en amont, à la composition de ton image, à ton éclairage, à la scène qui se passe devant tes yeux avant de cliquer. Quand on débute avec le numérique, on a tendance à cliquer de manière frénétique, sans prendre le temps de regarder ce qui se passe autour de soi. Il est nécessaire d’observer avant. Le photographe est un observateur mais si l’on est tout le temps derrière son appareil à vouloir absolument être sûr d’avoir la bonne photo, on n’est plus vraiment témoin des événements.  Comme appareil argentique, j’utilise essentiellement ce Nikon FM2 très robuste, complètement mécanique. Il n’y a pas d’électronique à part pour la cellule. Je l’utilise aussi pour des portraits. Lorsque j’ai le temps de composer mes photos, j’utilise un Hasselblad 500CM. Un bel appareil ! L’argentique t’apprend d’abord à regarder, à bien te placer, puis à cliquer. Ces derniers temps, je travaille plus en numérique pour des raisons financières. Travailler avec de la pellicule, à la fois pour des travaux documentaires ou des photos de rue a un certain coût, avec les développements, les scans. Cela prend aussi beaucoup de temps. J’ai mis entre parenthèses l'argentique en sachant que je comptais y revenir dès que possible.



 

"C'est une documentation de notre époque. Il n'est pas nécessaire d'aller à l’autre bout du monde pour avoir une image forte, qui parlera aux gens."

 


 

"Je suis principalement à la recherche d’une photo avec une touche d’humour, un sujet léger. L’idée est d’avoir une image qui raconte une petite histoire."

 



Quels éléments attirent ton œil en tant que photographe de rue ?  Quand tu es photographe de rue, ce qui attire ton œil évolue constamment. Tu apprends à regarder, à chercher de nouvelles choses inlassablement. Les nouveaux endroits me donnent un œil plus frais. Souvent, mes rencontres sont le fruit du hasard. Paris est un grand théâtre, où des acteurs - photogéniques mais sans s’en rendre compte - se promènent. Ce qui retient mon attention sera un élément fortuit. Je suis principalement à la recherche d’une photo avec une touche d’humour, un sujet léger. L’idée est d’avoir une image qui raconte une petite histoire. ​Finalement, tu réceptionnes des moments de vie.



Demandes-tu l’autorisation aux personnes que tu prends en photo dans la rue ?  Je ne demande jamais l’autorisation quand je fais une photo de rue. Pourquoi ? Parce que c'est très souvent un instant décisif, à un moment donné. Les gens sont dans leur monde, avec leurs peties expressions et j’aime cette chasse du naturel. Si je demandais à quelqu’un de poser pour une photo, il ne serait pas à l’aise devant l’appareil, en raison de ma présence et se demanderait « Mais qui est ce type ? Que va-t-il faire de cette photo de moi ? » Je cherche à capturer l’expression de cette personne, qui est dans la rue, une sphère publique, mais qui est dans une petite bulle privée et ne me remarque pas. C’est un instant volé. En demandant l’autorisation, le résultat serait complètement faussé.  Généralement je choisis un environnement qui me plait, quelqu’un passe et s’insère dans le décor. Il y une juxtaposition ou juste une atmosphère particulière. J’utilise un appareil assez discret et j’essaie d’être transparent. S’ils te voient, tu souris et tu souhaites une bonne journée ! Parfois, les gens te regardent un peu hébétés, en se demandant ce qu’il s’est passé, mais ne s’inquiètent pas. Il est rarissime d’avoir des problèmes parce que tu as « volé » une image. Je fais beaucoup de photos de mon quartier, dans le Nord de Paris, qui grouille de monde et où il y a des contrastes culturels assez forts à mettre en image. Par ailleurs, si on me disait que j’importunais les gens, je répondrais que ces photos sont une documentation de notre époque. Il ne faut pas forcément aller à l’autre bout du monde pour avoir une image forte, qui parlera aux gens. ​


 

"La photo de rue, c'est anticiper le coup suivant. Une anticipation du hasard, en quelque sorte."

 

"J’ai vu au loin cette dame en jaune, qui me voyait, qui arrivait. Juste à côté de moi, il y avait une boite postale de la même couleur. Elle allait probablement passer devant – ça dure 10 secondes, tu n’as pas beaucoup de temps – donc je me suis positionné à côté, de manière à avoir cette femme dans le cadre."


Tes photos peuvent-elles être mises en scène ?


La photographie de rue signifie anticiper le coup coup suivant. Une "anticipation du hasard" en quelque sorte. Il n'y a pas vraiment de mise en scène à proprement parler. Pour l'instant, j'ai deux approches dans la composition des images. La première est de choisir un décor, d'aller à la pêche et parfois, ça mord. La deuxième est de se promener en forêt avec un fusil, d'apercevoir un gibier, de s'approcher et shooter ! C'est assez cru mais représentatif de la situation.


As-tu des plages horaires particulières pour aller sur le terrain ?


Je réfléchis en terme de densité de population. J'aime l'heure du déjeuner, lorsque les gens sortent du bureau. Il y a plus de monde, plus de scènes à observer et plus de chance de faire une bonne prise. En fin de journée, à la sortie des bureaux, vers 18-19h, la lumière est intéressante, s'il fait beau.


À tes yeux, quel est ton premier cliché marquant ?


C’est une photo que j’ai prise lors d’un reportage sur les skateurs en Iran : elle est composée d’une fresque murale gigantesque en arrière-plan qui représente l’ayatollah Khomeini et d’un petit skateur qui fait une figure au pied de cette fresque, au niveau des mains du peuple. Cette fresque se trouve au sud de Téhéran, près d’une voie rapide. J’ai demandé à un ami de faire le plot humain, j’étais complètement sur la route pour faire cette photo. J’ai même senti un rétroviseur me frôler les fesses, je n’étais pas rassuré. Quand je l’ai vu sur l’écran ensuite, je me suis dit que je tenais peut-être une image symbolique, forte. L’image d’un pays très conservateur, religieux, avec l’ayatollah mais qui s’ouvre sur le monde petit à petit. Le skateur montre une pratique typiquement occidentale.



"Cette photo-là rejoint les deux possibilités de photo de rue que je mets en place en ce moment ; soit tu prends un moment décisif sans avoir le temps de réfléchir, tu cliques comme tu peux ou bien tu as une idée. J’ai vu cette affiche publicitaire, une affiche qui représente une femme avec un mégaphone et j’ai décidé d’attendre que quelqu’un passe à côté de cette affiche. J’ai campé une demi-heure avant de voir une proie venir. Ce jeune est passé avec des écouteurs juste à côté."


"Cette image-là, c’est l’exemple opposé. Je marchais dans la rue avec ma copine et cette action s’est passée sous mes yeux, soudainement. J'ai pris la photo très rapidement. Il y avait cette position de ces deux femmes qui se regardaient vraiment face à face. Elles avaient l’air très sérieuses et il y avait une lumière forte qui accentuait leurs traits. Elles ne devaient pas bien s’entendre, elles faisaient beaucoup de bruit. J’aime beaucoup trouver des attitudes fortes chez les gens que je photographie dans la rue. Par chance, il y a aussi ce petit signe « Stop » entre les deux, qui fait partie du hasard des choses."


Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un jeune photographe de rue ?  Je conseillerais à quelqu’un qui débute de bien choisir son appareil. Un appareil avec lequel il se sente à l’aise et qui lui permet d’être discret. Et tout simplement d’aller s’entrainer ! Prendre en photo tout ce qui lui passe par les yeux, lui semble intéressant. Ensuite, de regarder attentivement ces images. Dans toutes ces choses qu’il aura pris en photo, il y aura des éléments qui reviennent. Je conseillerais aussi de se documenter ; sur le travail d’autres photographes, sur la composition du cadre, etc. En tant que photographe, faut-il se spécialiser ?  Ce qui me plait dans la photo, c’est la diversité. La possibilité de s’intéresser à des secteurs et des sujets différents pour ne pas t’ennuyer. Mais si tu diversifies beaucoup, certains te diront que tu es trop éparse, on ne saura pas véritablement ce que tu fais. Il faut donc trouver un juste milieu. 





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